LE CRACHEUR DE FEU

 

 

Il faut sortir !

 

Un spectacle de rue donne toujours une occasion de glaner quelques photos intéressantes. Comme il n’en manquera pas pendant ces fêtes de fin d’année, je voudrais partager mon expérience avec vous sur une séquence de prise de vue que j’ai effectuée en décembre 2009.

J’étais informé qu’un spectacle de rue allait se dérouler pas très loin de chez moi. Pour être honnête, je n’avais pas plus envie d’y aller que cela. D’abord parce que je suis casanier, ensuite parce que, sans être agoraphobe, je n’aime pas trop la foule et enfin parce que me connaissant, je ne pourrais m’empêcher de prendre des photos, évidemment, mais ce jour-là, je n’en avais pas trop envie.

Je ne me souviens pas des arguments utilisés par ma femme pour me convaincre de quitter mon écran d’ordinateur, toujours est-il que j’ai décidé d’y aller tout de même.

 

Le choix du matériel

 

Pour l’appareil photo, je devais choisir. Je n’avais pas trop envie de me mettre en mode 100% photographe, je n’ai donc pas pris mon appareil pro qui, de surcroît, est un peu lourd.

Mais il était déjà presque 17 heures et en cette saison, le soir allait vite arriver. J’ai donc exclu mon fidèle compact expert Nikon P7100, handicapé par des vitesses de déclenchement trop lentes qui, dans ces conditions, risquaient d’occasionner des flous de bougé.

J’ai donc opté pour mon vieux réflex Nikon D80, un APS-C assez polyvalent, que j’ai équipé d’un 18-135 mm (équivalent 27-200 mm plein format), gamme de focales que je pensais capable de couvrir l’ensemble de mes besoins pour ce genre de prise de vue, sans pour autant être encombré.

 

Des clichés test

 

Une fois arrivé sur place, comme à mon habitude, je prends quelques clichés au calme pour me caler sur une combinaison ISO-vitesse-ouverture de référence, me permettant d’évaluer mes marges de manœuvre.

Après plusieurs tentatives, la combinaison qui semble s’imposer est 200 ISO-1/125s-f/5.6. C’est convenable, mais il me faudra être vigilant, car les marges de manœuvre sont plutôt réduites :

  1. A 200 ISO, je n’aurai pas trop de bruit : je pourrai les monter encore
  2. Au 1/125s, la marge est faible mais cela reste maniable (je n’ai aucune intention d’utiliser un flash)
  3. A f/5.6, je n’ai aucune marge car, à moins de toujours utiliser la focale la plus courte, dont l’ouverture maximum est à f/3.5, f/5.6 est la plus grande ouverture possible dès qu’on utilise une focale un peu plus longue.

 

Des restrictions navrantes

 

Dans ce genre de fêtes, je ne photographie plus les personnes qui sont là à titre privé ou membres d’associations : personnes dans la foule ou animant la fête par des défilés, des déguisements, etc.

Non pas que je n’aime pas réaliser de telles photos, qui sont souvent très sympas et dont les couleurs, les attitudes et les expressions fleurent bon la joie de vivre. Mais comme il devient de plus en plus difficile et « risqué » de diffuser des photos sans le consentement formel des personnes, et que je n’ai pas du tout envie de me lancer dans une chasse aux autorisations, si je capte ce genre d’image juste pour avoir le plaisir de les regarder chez moi, franchement je n’en vois pas l’intérêt…

Pour les professionnels, c’est autre chose : s’exposant en public, ils savent que leur image pourra être diffusée, sans préjudice pour eux, au contraire. Au besoin, je pourrai leur fournir les fichiers à leur demande, qu’ils pourront utiliser pour leur promotion.

 

Quel est le sujet ?

 

Le premier sujet qui m’a intéressé, c’est un aigle et son dresseur qui déambulait au milieu de la foule avec cette bête magnifique sur sa main recouverte d’un gant en cuir.

Aussitôt, déformation de photographe oblige, une question surgit : quels sont les sujets possibles dans cette configuration ?

  1. L’aigle : montrer sa beauté, sa majesté, sa puissance
  2. La relation entre l’aigle et son dresseur
  3. La réaction de la foule face à cet animal qui était si près d’eux

C’est donc avec cette trame que j’ai commencé ma série de prises de vues.

Je vous rassure, cette question et ces réponses ont été réglées en moins d’une seconde, mais elles sont essentielles si l’on veut sortir du mode « touriste ». L’avantage, pour le photographe, de savoir ce qu’il veut photographier a priori, c’est qu’il mobilise tous les moyens dont il dispose pour atteindre un but, plutôt que de partir à l’aveuglette et réaliser des photos peut-être réussies techniquement, mais qui n’ont aucun intérêt.

Bien entendu, le photographe ne s’interdit pas d’improviser et sait s’adapter aux circonstances quand cela est nécessaire. Mais à chaque fois, il se posera la même question : quel est le sujet ou les sujets possibles ? Et entre la question et les réponses, il ne se passera rarement plus de quelques centièmes, voire millièmes de secondes.

 

Les premières images

 

Me voici donc en quête de photos de l’aigle, de l’aigle avec son dresseur et de l’aigle avec la foule.

Chaque cadrage et chaque composition sont réalisés à partir de cette idée de base.

Pour l’aigle seul, je prends des détails en l’isolant du fond grâce à une faible profondeur de champ.

Malgré toute mon attention, je n’ai relevé aucune attitude vraiment intéressante entre l’aigle et son dresseur. J’ai été déçu, parce que cela était un bon sujet potentiel. Mais vous voyez tout de même l’intérêt d’avoir une idée en tête dès le départ : j’étais aux aguets, et si l’occasion s’était présentée de saisir une attitude ou expression intéressante entre les deux protagonistes, je ne l’aurais alors pas manquée.

La seule image qui fait office d’exception, même si elle n’a rien d’exceptionnelle, et qu’elle ne correspond pas tout a fait ce que je voulais montrer, c’est celle-ci où la fierté du dresseur est visible.

Quant à la relation aigle-foule, je suis assez content de cette image où la méfiance de l’enfant est assez palpable face à la puissance des serres de l’animal.

 

Premier bilan

 

Pour cette séquence de prises de vues avec l’aigle, j’ai effectué 60 clichés dont deux sont à peu près correctes. Allez, disons trois si j’inclue celle-ci, qui est hors sujet, mais dont la touche humoristique vaut qu’on la diffuse (voir l’article sur l’humour en photographie).

Est-ce assez ? Est-ce décevant ? Est-ce dans la moyenne ?

Ces questions, en réalité, n’ont aucun sens.

Car un photographe n’est pas une machine et suivant son humeur et les circonstances, sa production pourra être abondante ou calamiteuse ! Il m’arrive de n’être satisfait d’aucune photo sur certaines séries, alors que d’autres fois, je n’ai que l’embarras du choix…

En réalité, ce qui compte, ce sont les photos qui restent. S’il n’en était restée qu’une, j’aurais été pleinement satisfait.

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Le cracheur de feu

 

La fête battait son plein, et je me mettais en quête d’un nouveau sujet.

Un cracheur de feu semblait se préparer, ce qui pourrait faire un bon sujet.

Alors aussitôt, j’ai pensé aux contraintes de ce genre de prise de vue :

  1. Il faudra que j’assure une vitesse minimum pour éviter le flou de bougé au moment où le cracheur de feu soufflera vers la flamme
  2. Il y aura un écart important entre l’éclairement de la flamme et celle du cracheur de feu. Il faudra être vigilant de garder cet équilibre, sans risquer la surexposition de la flamme.

Je fais rapidement le point. Il est déjà 17:36 et le soir tombe de plus en plus vite. Je pousse les ISO, car, comme nous l’avons vu, je n’ai pas vraiment d’autres marges de manœuvre. La photo précédente a été prise à 1250 ISO-1/90 s-f/4.8 (au 38mm).

 Le cracheur de feu lance une première flamme, l’occasion pour moi de tester une première combinaison.

La photo a été prise au 1/250s à f/8. Je ne voulais pas pousser encore les ISO, car la montée du bruit aurait été insupportable : les capteurs APS-C sont handicapés de ce point de vue-là !

Avec ce réglage, je remarque aussitôt la surexposition de la flamme, ce que je craignais.

Je me dépêche de choisir un nouveau réglage et exposer pour la flamme. J’n profite également pour me déplacer, pour éviter la monotonie d’une image de face.

Je règle donc mon appareil au 1/1000s à f/16, et je prends une photo.

Certes la flamme est correctement exposée, mais je perds trop de détails dans les basses lumières du cracheur de feu. C’était prévisible, mais il fallait constater ce qu’un réglage plus extrême pouvait donner pour arriver à trouver le bon équilibre.

Je me résous donc à choir une vitesse au 1/750s et une ouverture à f/6.7. Je me décale un peu et je prends la photo.

Bingo ! J’ai récupéré des valeurs dans les basses lumières et la flamme n’est que très légèrement surexposée à certains endroits, problème que je devrais pouvoir résoudre assez facilement dans Lightroom.

Malgré tout, j’aurais aimé pouvoir cadrer différemment, avec le cracheur de feu plus près du bord gauche du cadre et davantage de flamme.

Je me déplace, tout en modifiant mes réglages, par curiosité. Ce sera 1/500 s à f/5.6. Malheureusement je suis bousculé au moment de la prise de vue et je rate mon cadrage !

Avec cette vitesse plus lente et cette plus grande ouverture, on commence à voir apparaître du bruit et des détails dans l’arrière-plan à gauche, ce qui n’est pas franchement utile.

Je m’apprête donc à revenir au réglage précédent, mais le cracheur de feu ayant terminé sa prestation, je devrai faire avec !

 

Deuxième bilan

 

Quand je vous disais que la question du ratio entre les photos prises et les photos réussies n’avaient aucun sens !

Sur cette séquence, j’ai pris six clichés : trois de face, qui m’ont permis de tester mes réglages, et trois de profil, dont une réussie (malgré un cadrage imparfait).

Aucune raison d’être mécontent !

Remarquez, j’aurais pu demander au cracheur de feu de recommencer 60 fois son exhibition, histoire d’augmenter mes scores, mais je doute qu’il eut accepté !

 

La fête continue

 

Mais sans moi…

Ma femme et moi avons décidé de nous extirper de la foule pour effectuer une petite promenade en ville.

Le temps de réaliser cette photo de l’extérieur d’une crêperie, dans laquelle les bougies allumées, outre qu’elles me faisaient penser à Gaston Bachelard, semblaient offrir un accueil chaleureux à qui s’installerait à leur table.

Nous peut-être ?

 

Epilogue

 

Une fois les photos prises et abritées sur les disques dures, j’ai pour habitude de revenir sur l’ensemble de la séance pour chercher au moins une photo qui mériterait que je passe un peu de temps à la travailler.

Celle du cracheur de feu m’intéressait particulièrement, car j’y décelais une possibilité de développement en noir & blanc.

Mais avant cela, il y avait quelques ajustements à effectuer, surtout pour contrôler les légères surexpositions de la flamme et déboucher une partie des basses lumières.

Il était alors possible d’effectuer le développement en noir & blanc, que je trouvais particulièrement bien adaptée sur ce genre d’image. Graphiquement, elle devient plus intéressante, l’absence de couleurs met le focus sur l’action elle-même et l’expression du personnage, ainsi que sur les contrastes d’ombres et de lumière qui sculptent son corps et son visage (petite précision : je ne suis pas un émule de Leni Riefenstahl !).

Résumons :

  1.  Pour prendre des photos, il faut sortir !
  2. Prenez du matériel adapté
  3. Effectuez des clichés test avant de commencer votre séance de prise de vue : cela vous permettra de jauger vos marges de manœuvre si les conditions de prise de vue risquent d’être limite
  4. Commencez à photographier en ayant un ou plusieurs sujets en tête
  5. Ne vous inquiétez pas du ratio entre le nombre de photos prises et celui des photos réussies.
  6. Adaptez vos réglages aux circonstances
  7. Prenez le temps de développer les photos qui vous intéressent

Et maintenant ?

 

Photographiez et photographiez encore, en incluant des contrastes dans vos photos

Et surtout, faites-vous plaisir !

Puis envoyez-nous vos photos ou vos histoires : nous les publierons dans ce blog !

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